Table ronde « Compétitivité et Finances publiques »

Table ronde « Compétitivité et Finances publiques »

Président/modérateur : Jean-Marc Daniel, économiste
Témoins :
– Nicolas Baverez, éditorialiste
– Michel Cicurel, économiste
– Gérard Collomb, sénateur du Rhône, maire-président de l’agglomération de Lyon
– Albéric de Montgolfier, sénateur d’Eure-et-Loir, rapporteur général de la Commission des finances

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Bruno Durieux, vice-président de Présence de Raymond Barre

Bonjour, je voudrais tout d’abord remercier le Président Larcher, et maintenant présenter rapidement cette troisième Table ronde qui se situe à un moment un peu central de la journée et qui démarre sous les meilleurs auspices, puisque vous êtes nombreux et prêts visiblement à écouter d’excellents intervenants.

Je voudrais remercier Jean-Marc Daniel, qui est un économiste que vous écoutez fréquemment sur les meilleures radios et dans les meilleurs médias et qui, de plus, a une énorme qualité, car nous avons fait tous les deux la même carrière cher Jean-Marc et nous sommes économistes empiriques, Jean-Marc explique l’économie avec le même talent, je crois, que le faisait l’ancien Premier ministre pour faire comprendre des choses complexes avec des concepts à la fois simples et justes, ce qui n’est pas forcément facile.

Je voudrais saluer Albéric de Montgolfier. Vous avez déjà été salué, Monsieur le Sénateur, par le Président du Sénat, et vous êtes rapporteur général de la Commission des finances, ce qui, du temps de Barre, était l’antichambre d’un poste ministériel, que je ne pourrais que vous souhaiter, car il est vrai que Raymond Barre allait piocher dans les Commissions des finances des Assemblées, les ministres qui étaient en charge de l’économie et des finances.

Je voudrais saluer Nicolas Baverez, qui est un éditorialiste écrivain essayiste que vous connaissez bien et qui a pour nous une raison supplémentaire d’être sur cette tribune, c’est que c’est un Aronien, un grand spécialiste d’Aron et, quand on sait que chez Barre et les Barristes, Aron occupe une place tout à fait centrale dans la pensée, dans l’analyse, dans la manière même d’étudier et de s’exprimer, nous sommes très heureux d’écouter le meilleur biographe d’Aron parmi d’autres qualités.

Je voudrais aussi saluer Michel Cicurel, économiste dont nous savons, nous les anciens collaborateurs de Barre que Barre aimait l’écouter comme confident et ami et qu’il avait une belle influence auprès de Raymond Barre.

Cette table ronde est consacrée à Barre économiste, à Barre Premier ministre en charge de l’économie puisqu’il était au moins dans sa première partie ministre de l’Économie et des Finances et j’étais heureux ce matin d’entendre quelqu’un comme Édouard Philippe, jeune, dire : « Pour moi Barre c’est un professeur d’économie, donc quelqu’un qui avait une compétence, une réflexion, une analyse, une connaissance historique des sujets » et puis Renaud Girard qui nous disait tout à l’heure : « Pour moi, c’était un homme d’État, pourquoi, parce qu’il a laissé le pays dans un état meilleur que celui qu’il a trouvé. »

Il est vrai, je voudrais simplement rappeler deux points qu’on a tendance à oublier, avant de céder la parole à Jean-Marc :
– Le premier, c’est que Barre, on l’oublie, a rétabli l’équilibre des finances publiques ; on dit que les déficits publics durent depuis des années et des années, le seul concept qui compte c’est celui de l’économie de la comptabilité nationale. Au sens de la comptabilité nationale, c’est-à-dire au sens économique, les finances publiques de la France étaient équilibrées en 1980, alors qu’elles étaient gravement déséquilibrées dans les années 1974-1975 du fait de relance et d’une politique qu’il avait qualifiée à l’époque, drôlement d’ailleurs, de « politique de l’escarpolette » !
– La deuxième chose (totalement oubliée), à l’automne 1980, à la veille de ces funestes élections de 1981, le franc soutenait le mark. La politique du franc, non pas fort comme on le disait, mais du « franc stable » de Barre alors qu’il était arrivé à la suite de deux dévaluations et d’une monnaie qui glissait en permanence, il avait d’abord rassemblé les conditions de faire rentrer le franc (à l’époque) dans le SME et, ensuite, il s’était offert le luxe de soutenir le deutsche mark à l’automne 80, ce qui était quand même le signe qu’il avait fourni un travail de fond.

Je n’en dis pas plus parce ce qui est intéressant maintenant, c’est d’entendre les économistes, ceux qui s’intéressent à la politique économique, juger la situation actuelle en fonction de cet héritage intellectuel et expérimental au fond, que nous a laissé Barre. Est-ce que cela vaut encore, même dans un contexte évidemment bien différent, et quelles leçons en tirer pour les années qui viennent ?

Merci à vous, Jean-Marc, merci !

Jean-Marc Daniel

Je vais donc avoir la lourde tâche, mais la tâche sympathique, d’animer cette table ronde.

Je vais tout d’abord dire quelques mots pour me présenter, pour confirmer qui je suis à l’égard de ceux qui pourraient encore avoir un doute -je ne suis pas encore assez prétentieux pour considérer que tout le monde sait qui je suis !-.

Je suis effectivement un jeune collègue de Bruno Durieux, j’ai commencé ma carrière à la direction régionale de l’INSEE à Lyon et qu’il me soit permis de raconter une anecdote un peu personnelle : à la veille des élections de 1981, j’avais remis un état des lieux (comme l’avait demandé l’unité centrale de l’INSEE) de la région, la région Rhône-Alpes étant une région comparable au Danemark ; on peut faire une vision économique et macro-économique. Le préfet, Olivier Philip à l’époque m’avait convoqué : c’était la première fois que je rentrais dans le bureau du préfet, j’étais très ému, et il m’a remis la note avec un petit mot de Raymond Barre sur laquelle était inscrit : « raisonnement économique pertinent » ; donc j’étais très flatté. (applaudissements).

Donc j’ai persévéré dans l’économie.
Je vais essayer de continuer dans un raisonnement économique pertinent, je vais essayer néanmoins de le partager avec mes voisins, de façon à ce qu’il soit encore plus pertinent.

Le thème c’est « Compétitivité et Finances publiques », deux remarques personnelles introductives et je vais céder la parole aux autres :

– La première c’est que, comme Bruno Durieux l’a rappelé, la situation de l’économie française en termes de finances publiques en 1980 était une situation d’excédent. Évidemment, quand on regarde le budget de l’État, Bruno l’a dit, il avait un léger déficit, mais l’ensemble était excédentaire, car la sécurité sociale était en excédent. Je dis à mes étudiants, moi j’ai connu la sécurité sociale en excédent, et je leur dis « au train où vont les choses, quand vous raconterez cela à vos enfants, que vous aviez un professeur qui a connu la sécurité sociale en excédent, ils vous demanderont, mais qu’est-ce que c’était que la sécurité sociale ? »Depuis, hélas on n’a pas arrêté de prolonger les déficits, avec des caisses d’amortissements à vocation temporaire qui s’incrustent dans le paysage et je rappelle que la sécurité sociale était en excédent parce qu’on avait augmenté les cotisations vieillesse, car la retraite était à l’époque à 65 ans et Raymond Barre, justement, avait compris qu’il fallait préparer le vieillissement de la population en permettant à la sécurité sociale de commencer à dégager des excédents qui éventuellement seraient l’amorce d’un fonds de pension permettant de préparer la dégradation démographique de notre situation nationale. Et donc c’était à la fois bien pensé et mal analysé parce que, quand les gens sont arrivés après, ils ont ouvert le tiroir-caisse et constaté qu’il y avait de l’argent, et donc ils l’ont dépensé ! Moyennant quoi, mes étudiants ne sont pas sûrs de connaître la sécurité sociale à la fin de leurs jours.

– La deuxième remarque que je ferai, c’est que « compétitivité et finances publiques » et j’insiste là-dessus, il est assez difficile de faire passer cette idée que la notion de twin deficit, c’est-à-dire de déficit budgétaire et de déficit extérieur n’est pas uniquement une habileté de présentation journalistique, mais que c’est une réalité économique forte. Le déficit extérieur, c’est un problème de compétitivité, c’est un problème dl’exportation, mais c’est aussi d’importation, c’est-à-dire un problème de mauvaise allocation dans la distribution des revenus entre l’épargne et la consommation. Je crois que l’une des forces de Raymond Barre, c’est d’avoir compris que ce n’est pas parce que l’on dépense que l’on est riche, c’est parce qu’on est riche que l’on peut dépenser. « On dépense et on devient riche », cela s’appelle du keynésianisme, et « on est riche et on dépense », cela s’appelle de l’économie ! Et je pense que la force de Raymond Barre, c’est d’avoir compris effectivement que la détérioration de la situation de nos finances publiques conduirait immanquablement à la détérioration de notre situation extérieure. Pour rebondir sur l’actualité, nous avons quand même bénéficié d’un contre-choc pétrolier spectaculaire ces deux dernières années : l’Arabie Saoudite nous a rendu l’équivalent de la relance de 1981, c’est-à-dire 40 milliards d’euros, soit 2 % du PIB. Quand je dis « l’Arabie Saoudite », c’est au sens global, les pays pétroliers nous ont rendu l’équivalent de la relance de 1981. Ainsi nous avons eu une augmentation considérable de notre pouvoir d’achat et une baisse normalement de nos importations ; donc, on pourrait penser que nos comptes extérieurs seraient équilibrés. Sauf que ce pouvoir d’achat que nous avons reçu, il est parti en Allemagne, c’est-à-dire que nous sommes devenus le point de passage du contre-choc pétrolier : il est rentré chez nous puis il est reparti et donc nous avons encore une balance des comptes courants légèrement déficitaire parce que nos finances publiques sont lourdement déficitaires. Et je pense que l’un des enjeux maintenant, – je sais que mon voisin de droite va hurler ! -, c’est que avant de baisser les impôts, il s’agit de baisser le déficit. En effet, la baisse des impôts, cela peut être une illusion alors que la baisse du déficit, c’est une dette et la dette, ce n’est pas une illusion, c’est une pénalisation des générations futures. Ainsi je pense que l’un des héritages de Raymond Barre, c’est d’avoir compris que rééquilibrer la situation extérieure d’un pays, cela doit passer par le rééquilibrage de sa situation intérieure au travers de ses finances publiques.

Je lance un peu le débat, car ce point de vue n’est pas souvent partagé et beaucoup de gens pensent que l’expression twin deficit est une présentation commode et journalistique de deux évènements, deux mécanismes économiques qui ont lieu simultanément ; or, ils ne sont pas simultanés, ils sont liés. Je vais peut-être donner la parole tout de suite à Michel Cicurel, et je vous demanderai de réagir ensuite sur cette idée de compétitivité et cette association de notre compétitivité à l’évolution de nos finances publiques.

Michel Cicurel

 De même que tout le monde est aujourd’hui gaulliste, la référence à Raymond Barre est désormais unanime. Et avant tout, ce qui restera sans doute son apport le plus visible, l’exigence de compétitivité. Exigence qui dépasse de loin l’application dogmatique du théorème des avantages comparatifs pour devenir une discipline, une hygiène de vie collective, je dirais même un respect de soi qui oblige la France à se mesurer au reste du monde pour tenir son rang.

Il faut un instant fermer les yeux pour revenir 40 ans en arrière. Nous venions de vivre le 1er choc pétrolier en 1973. Je me souviens encore, car je venais de rejoindre le Trésor, des séances de préparation du plan quinquennal rue de Martignac où les différents protagonistes se disputaient âprement sur le taux de croissance deux chiffres après la virgule. Ça, c’était avant ! Je veux dire avant le choc ! Après, nous avons connu la 1ère année de récession d’après-guerre, perdant plusieurs points de croissance avant la virgule !

Jacques Chirac, alors Premier ministre, applique les traitements keynésiens de sa génération : la relance par la demande, qui garde encore malheureusement de nombreux adeptes 40 ans plus tard. 2 ans de traitement, et la France malade est au plus mal. Tous les voyants sont au rouge : la croissance, le chômage, les prix, les déficits jumeaux, paiements courants et finances publiques, le franc… Arrive Raymond Barre qui articule d’un ton mélodieux le terme inédit de compétitivité, et inverse toutes les manettes : il faut maîtriser les grandeurs nominales, les revenus et les prix, et rétablir l’équilibre des finances publiques, car en économie ouverte, augmenter la demande interne, publique ou marchande, c’est favoriser la croissance de ses concurrents lorsqu’ils sont plus compétitifs. Nous ne cessons d’ailleurs de le payer aujourd’hui.

Je souhaitais rappeler ce contexte pour que chacun mesure à quel point la démarche de « Raymond la Science » était audacieuse. Les médias (les commentateurs !), l’opinion en général, les élus ont moqué le professeur Nimbus, ont harcelé Giscard jusqu’aux élections de 1978 – exemple unique de mid-term élections gagnées par la majorité – pour le convaincre d’éjecter son dangereux 1er ministre. Il faut mesurer l’audace du propos et son non-conformisme absolu par rapport à ce qu’étaient les canons économiques de cette époque, et s’en inspirer pour refuser toujours l’abandon paresseux à la pensée unique du moment.

Souvenons-nous que dans la poursuite de ses objectifs, Raymond Barre, disciple d’Eugen Von Böhm-Bawerk, utilisait volontiers des « détours de production », audacieux et créatifs. Ainsi, préalablement à la libération totale des prix administrés depuis la guerre, mesure courageuse s’il en fût, Barre prit la décision surprenante de bloquer les prix durant de longs mois, histoire d’assagir les grandeurs nominales avant de rendre leur liberté aux prix. Coup de génie couronné de succès.

Comme chacun fait toujours parler « pro domo » les grands disparus, je vais me permettre de combattre la pensée unique en présentant une thèse iconoclaste sur le thème qui nous occupe ; la compétitivité et les finances publiques. La pensée unique aujourd’hui est qu’il est urgent de réduire la dette publique, donc la dépense et les déficits publics afin de pouvoir ensuite réduire les prélèvements. Tentons d’imaginer ce que Raymond Barre en aurait pensé !

Bien entendu Raymond Barre condamnait le laxisme de la dépense publique. D’ailleurs, la compétitivité, au-delà des entreprises, devait s’étendre à tous les acteurs de l’économie française : l’école et l’université, la recherche, la fiscalité, la monnaie, la finance et, last but not least, à l’État-providence. Il va de soi qu’en supportant un Etat-Providence qui pèse 57 % de la production intérieure, l’économie marchande étouffe. Et d’ailleurs, il y a désormais une sorte de consensus sur la nécessité de faire maigrir l’État.

L’excès de dépenses entraîne l’excès de prélèvements. Coe-Rexecode a publié début 2014 une étude importante intitulée « réforme fiscale et retour de la croissance » montrant que la totalité de la surcharge fiscale de la France par rapport à l’Allemagne, soit 120 mds € (6 % du PIB) pèse en totalité sur les facteurs de production et non les ménages. Principalement les charges sociales payées par l’entreprise sur le travail, et l’imposition extravagante du capital, qui serait très souvent au-delà de 100 % si le plafond Rocard ne limitait la fiscalité directe à 75 % des revenus. Sur ce thème, en début d’année, Michel Didier, président de Rexecode, a publié une note importante sur la fiscalité du capital montrant qu’en remplaçant toutes les formes de taxation du capital par une taxe proportionnelle d’environ 30 % sur l’ensemble des revenus du capital, l’État n’y perdrait rien. Les contribuables seraient traités de façon bien plus équitable que dans le labyrinthe fiscal actuel qui ne profite à l’évidence qu’aux ultra-riches, et surtout ramènerait la France à la moyenne européenne, lui rendant sa compétitivité fiscale du capital très endommagée.

Je dois à la vérité de dire qu’il y a 40 ans, j’ai eu ce débat sur l’imposition du capital avec Raymond Barre, car, en libéral novice, j’étais partisan de taxer le capital plutôt que les revenus afin d’optimiser l’allocation des ressources. Raymond Barre m’a laissé publier un article dans Le Monde intitulé « Vive l’impôt sur le capital » alors que chacun sait qu’il avait déjoué les intentions de VGE, partisan de cet impôt, avec le fameux rapport Blot-Méraud-Ventejol. Son argument était très simple : « vous auriez raison, me disait-il, si nos concurrents étrangers faisaient la même chose. Sinon, la fuite des capitaux est garantie ». Dont acte et amende honorable.

S’agissant de l’allègement des charges patronales sur l’emploi, aucun responsable politique exerçant ou ayant exercé des responsabilités gouvernementales ne disconvient qu’elles sont aberrantes.

La pensée unique sur les bancs de la droite est une baisse des dépenses publiques de 100 mds €, suivie lorsque cette baisse aura été effectuée, d’un montant équivalent de baisse de l’impôt.

Le cœur du problème est dans la chronique des décisions, car faire 100 mds d’économie de dépenses publiques en 5 ans et baisser l’impôt ensuite est un scénario invraisemblable ! Les candidats sont d’ailleurs très discrets sur la nature des économies pour une raison simple : l’essentiel de ces économies, à court terme, porte sur les transferts sociaux, évidemment retraites en tête. La réduction des effectifs publics, la réforme des statuts de la fonction publique, la réorganisation des collectivités locales sont des œuvres de très longue haleine, si difficiles qu’on ne peut préjuger de leur réalisation, même à long terme. Et, j’ai la faiblesse de penser que décider simultanément la suppression de l’ISF et la dégressivité des allocations chômage, la réduction des allocations logement, des allocations familiales et des dépenses de santé, est d’une telle insolence politique qu’elle ne se fera pas ou que les fameux rassemblements de « nuit debout » deviendront la France entière debout jours et nuits.

Soyons sérieux ! On ne peut pas toucher massivement aux transferts publics vers les ménages avant d’avoir relancé l’économie marchande, l’emploi et les revenus privés. C’est ce que NKM a parfaitement exprimé en disant qu’il fallait faire descendre les prélèvements par l’ascenseur et les dépenses par l’escalier. C’est-à-dire décider en tout début de quinquennat, la baisse des prélèvements sur les facteurs de production et mettre en place simultanément le dispositif de réduction des dépenses, comme la retraite à 65 ans ou la baisse des effectifs publics, dont chacun sait que ce sont des mèches lentes. Si on n’adopte pas cette séquence, on reproduira le scénario des 4 décennies écoulées : les économies faites par la droite durant son règne, à supposer qu’elle les fasse, constitueront la cagnotte de la gauche pour l’alternance. Et les réductions de prélèvements passeront à la casserole, comme cela n’a jamais cessé d’être le cas.

Les orthodoxes crieront aux démons de la dette publique et du non-respect de nos engagements européens. Les contacts discrets pris auprès de Bruxelles et de Francfort appellent tous la même réaction, évidemment officieuse : il est vital que la France se redresse, car l’Allemagne ne peut porter l’Europe seule ; et la France peut s’autoriser quelque temps un déficit accru, mais productif, bien mieux que le déficit actuel, inutile et non maîtrisé ; si la France fait ses réformes, elle a le droit à un répit qu’autorisent les marchés de la dette, ce que d’ailleurs l’Allemagne s’était permis il y a 15 ans.

Pour conclure sur cette idée, je donnerais à nouveau la parole à NKM  : on ne fera jamais les économies indispensables sans être le dos au mur. Et donner du sens à ces économies en commençant par un choc fiscal en faveur de l’investissement, donc de l’emploi et des revenus, c’est plus motivant que d’infliger inlassablement des traitements toujours insuffisants, mais toujours pénibles avec deux issues possibles : ne jamais guérir, ou mourir guéri.

Qu’aurait dit Raymond Barre de ce projet iconoclaste, lui qui était si attaché à l’équilibre de la dépense publique ? Il avait consacré son mémoire d’agrégation au facteur temps en économie. Et la chronologie des décisions de politique économique était chez lui obsessionnelle. Ne peut-on envisager que, de même qu’il avait bloqué les prix pour mieux les libérer, il accepte la dépense fiscale en faveur de la compétitivité pour mieux redresser nos comptes ? Je vous laisse juge de ce détour de production.

En guise de conclusion, je voudrais évoquer « Raymond la Science », le philosophe roi. Il aimait le débat d’idées et ne refusait jamais la compétition de la pensée. Sauf avec les crétins ! Je suis sûr qu’il serait consterné aujourd’hui par la menace majeure de victoire de l’extrême bêtise que véhiculent les populismes de part et d’autre de l’Atlantique. Et je suis convaincu que pour répondre à ce danger, il recommanderait aux responsables politiques d’élever l’intelligence des peuples plutôt que de singer la stupidité des démagogues. Car, il plaçait plus haut que tout, en matière de compétitivité, celle de la pensée. D’abord, disait-il toujours, il faut réformer les mentalités. La France peut être très compétitive par son intelligence, par exemple en exportant la TVA dans le monde entier. Et parfois malheureusement exceller dans les idées fausses qui détruisent sa compétitivité, comme la dévaluation monétaire ou le partage du travail. L’élection présidentielle de 2017 ressemble à celle de la dernière chance pour notre pays désormais fragile. Souhaitons de tout cœur, comme le ferait Raymond Barre, qu’elle soit celle de la pensée juste. Et franchement, ce n’est pas gagné d’avance !

Jean-Marc Daniel

Merci, voilà une intervention passionnante !
La question qui se pose est : que dirait Raymond Barre de la disparition de l’inflation ? Il dirait « bravo » ; que diraient les enthousiastes pour la dette publique ? Ils diraient « danger » à mon avis, en tout cas, je vais demander ce qu’en pense Nicolas Baverez.

Nicolas Baverez

 Merci beaucoup ! Comme il a été dit, Raymond Barre est une exception dans la vie politique française : c’est à la fois un homme d’État, un vrai savant, un grand économiste, un libéral et, en plus, quelqu’un qui a aimé les qualités qu’on prête à Lyon et à sa région, c’est-à-dire une ville qui n’est pas aristocratique, mais bourgeoise et un endroit où l’on préfère les gens qui font aux gens qui disent.

C’est à partir de là que je voudrais reprendre un peu la comparaison entre les années Barre et ce que nous vivons aujourd’hui.

La France est une exception politique, mais aussi une exception économique. Quand on regarde sa trajectoire c’était la deuxième économie du monde en 1800, encore en 1860, ensuite elle est reléguée par la montée des États-Unis et de l’Allemagne, la quatrième en 1900, quatrième encore en 2000, sixième aujourd’hui en termes bruts et neuvième en parité en termes de pouvoir d’achat !

Ces hauts et ces bas s’expliquent par la difficulté à acclimater les grands changements de normes du capitalisme qui se déroulent par les crises. Il y a eu la grande déflation de la fin du XIXe siècle, la crise des années 30, – un véritable drame pour notre pays puisqu’on est le seul des pays développés à avoir en 39 une production significativement plus basse que celle de 29-, ensuite la période très impressionnante de développement des Trente Glorieuses et, depuis les chocs pétroliers, une incapacité à s’adapter : d’abord aux chocs pétroliers, ensuite à la fin du communisme à la mondialisation et au passage à l’euro.

Quand on regarde ces années 70, le grand choc qui met fin à l’ère keynésienne, de 1973 à 1980, la France a une croissance de 3 %, les gains de productivité sont de 5,2 % par an. Le chômage est à 7, l’inflation à 10, on l’a rappelé, les exportations françaises passent de 15 à 20 % du PIB en une décennie et la dette publique en 1980 est à 7 % du PIB. La France, en dehors des états pétroliers, est le sixième pays par le revenu disponible par habitant. Elle a donc une position intermédiaire entre l’Allemagne, le Japon, la Suisse, qui sont les champions de cette décennie 70, mais elle est plutôt proche d’eux et elle fait beaucoup mieux que le Royaume-Uni ou l’Italie qui se trouvent dans une phase de décrochage.

En 2016 et sur cette décennie 2010, la croissance moyenne de la France est de 0,5 % par an, les gains de productivité sont de 0,3 % par an. Le chômage touche 5 700 000 personnes, nos parts de marché dans le monde sont revenues de 8,6 % à 3 %, le déficit est de 3,5 % du PIB, la dette publique est de 97,5 % du PIB. La France est aujourd’hui le seizième pays dans le monde par le revenu disponible ! Donc on mesure l’ampleur du décrochage depuis ces années 70.

Ce que je voudrais vous montrer, c’est d’ailleurs un peu le fil conducteur que nous a proposé Jean-Marc Daniel, c’est revenir sur ce décrochage, vous montrer comment le moteur du décrochage c’est bien le double problème « compétitivité et finances publiques », et dans un troisième temps regarder comment repartir, pour la partie économique (car on a par ailleurs des problèmes majeurs de paix civile mais qui sont en dehors de notre discussion) ; en tout cas le redressement économique de la France passe par ce couple « compétitivité et finances publiques ».

Regardons d’abord le déclin français : il est spectaculaire !

Croissance moyenne dans les années 70 : 3,7 %, 2,2 % dans les années 80, 1,9 % dans les années 90, 1,5 % dans les années 2000, 0,5 % dans les années 2010.

Comme je l’ai dit, la compétitivité se mesure par les parts de marché : on est passé de 8,6 à 3 % dans le monde et on est passé dans la zone euro ; c’était 18 % dans les années 90, 16 % en 2000, c’est 11,8 % aujourd’hui !

L’industrie française, qui est très importante, car c’est ce qui permet d’avoir de la recherche, des exports et des salaires élevés.

L’industrie française aujourd’hui produit à son niveau de 1994 : elle a perdu 2,5 millions d’emplois en vingt ans, c’est 11 % de la valeur ajoutée contre 16 % dans la zone euro et 23 % pour l’Allemagne.

Le chômage, comme on l’a dit, est à 10 % de la population active qui est structurellement en dehors du marché du travail, 2,5 millions de jeunes qui sont en dehors de toute formation ou de tout emploi et, comme je l’ai rappelé la dette a beaucoup augmenté. Encore faut-il dire que le 97,5 % est trompeur, car cela n’intègre pas tous les éléments de la dette publique. Si l’on prend les 44 milliards d’euros de la dette de la SNCF, il est clair que la SNCF n’aura jamais les moyens de la rembourser. Je vous rappelle que cette entreprise, l’an dernier, a dégagé 12 milliards de déficits sur un chiffre d’affaires de 31 milliards. Cela veut dire tout simplement que l’on a déjà plus de 2 % de dette et c’est la même chose pour EDF qui va droit à la ruine avec 120 milliards d’euros d’engagements pour une dette qui atteint déjà 37 milliards et une capitalisation de 21 milliards. L’ensemble du secteur public français est aujourd’hui, dans le domaine des transports et de l’énergie, en état de faillite masquée.

Voilà pour l’absolu, si je puis dire ! En termes relatifs, c’est aussi très impressionnant : quand on regarde par rapport à la zone euro, normalement la France faisait plutôt mieux au départ que la zone euro, aujourd’hui elle fait beaucoup moins bien. La zone euro, même si ce n’est pas extraordinaire, dégage 1,5 % de croissance par an, la France est en dessous et après un double choc très violent : crise du capitalisme et crise de l’euro en 2009, la zone euro a vu son taux de chômage passer de 12,2 % à 10 % en deux ans avec des pays qui, maintenant s’en sortent de façon spectaculaire, y compris en Europe du Sud (Espagne : 900 000 emplois créés en deux ans, Italie : 210 000 emplois créés l’an dernier).

Ce qui frappe surtout, et se distingue de la situation des années 70, c’est évidemment le déséquilibre avec l’Allemagne. Cette dernière, aujourd’hui, dégage une croissance de 1,8 %, le taux de chômage est à 4,2 %, l’excédent commercial à 9 % du PIB, l’excédent budgétaire, 1,7 % du PIB, la dette allemande 71 % du PIB contre 97,5 % chez nous !

Quand on regarde au-delà, par exemple en matière de marché du travail, contrairement à ce qu’on dit, le chômage n’est pas une caractéristique des pays développés ; aujourd’hui les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni sont en situation de plein emploi. Ce n’est donc pas un problème de l’euro, ce n’est pas un problème des pays développés, ce n’est pas un problème de la mondialisation, c’est un problème français. Et notre pays est devenu aujourd’hui « l’homme malade de l’Europe » et un risque pour lui-même comme pour les autres pays. Si l’on suit la tendance actuelle, on sera en 2030 entre le seizième et le vingtième rang mondial et par ailleurs, comme il a été rappelé, c’est un pays qui est très vulnérable en cas de remontée des taux d’intérêt et vulnérable aussi sur le plan social et politique (face à la montée du terrorisme et de l’extrémisme) ; c’est donc un pays aujourd’hui en très grand risque réel pour la survie de l’euro, pour une raison simple : c’est que la dette française est 2 150 milliards d’euros, le mécanisme de solidarité, c’est 950 milliards ; on a déjà engagé 450 milliards sur l’Irlande, la Grèce, etc. donc il reste 500 milliards, ce qui ne couvre pas la France ni l’Italie, et de loin.

L’explication de ce désastre est due à un modèle économique et social qui est insoutenable et cette insoutenabilité est dans le couple « effondrement de la compétitivité et perte de contrôle des finances publiques ». Vous connaissez la célèbre formule de Merkel : «  l’Europe, c’est 7 % de la population mondiale, c’est 25 % de la production  », disait-elle, – elle se trompe, c’est 20 -, « et c’est 50 % des transferts sociaux dans le monde ».

Quand on applique cela à la France, cela donne 1 % de la population mondiale, 3,5 % de la production mondiale, et 15 % des transferts sociaux dans le monde !

Ainsi, de quelque manière qu’on le prenne, c’est insoutenable.

Et quand on dit que c’est une Union soviétique qui a réussi, non, c’est une Union soviétique qui est vouée à la faillite comme l’Union soviétique a terminé en faillite. Pourquoi ?

Le premier élément, c’est qu’on a une euthanasie de la production, de l’investissement et de l’innovation : la montée démesurée des dépenses publiques (57,5 % du PIB) a tué les entreprises. Celles qui survivent sont celles qui restent « facialement » en France, mais qui ont leur développement, leur profit et la majorité de leurs effectifs à l’étranger. C’est le cas du CAC 40, donc deux tiers de capitalisation, d’investisseurs étrangers, – il y a des cas extrêmes, par exemple si l’on prend Total (95 % des profits en dehors)-, mais en moyenne il y a à peu près 80 % des profits du CAC 40 qui se font en dehors du territoire français.

Ce qui survit d’économie française survit parce qu’elle est off shore et déterritorialisée.

Le deuxième élément, directement lié à cette euthanasie c’est la dérive étatiste, corporatiste et malthusienne. l’Etat est bien le cœur du problème français comme il a été dit très rapidement par rapport à l’Allemagne : 82 millions d’Allemands contre 66 millions de Français, 500 000 fonctionnaires de plus en France, 184 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires en France. Qualité de la vie, plutôt inférieure : je rappelle qu’aujourd’hui le PIB par habitant en Allemagne est de 13,5 % supérieur au PIB français. On n’arrête pas de se lamenter sur les travailleurs pauvres en Allemagne, sauf que les pauvres sont chez nous et non pas en Allemagne.

Outre le fait que l’État s’est détruit lui-même, il détruit la société française en installant une société de défiance.

Tout cela nous ramène aux années 70, pourquoi ? parce que l’explication, au-delà de ce couple, c’est l’incapacité qu’a eue la France à adapter les changements qui sont intervenus : les chocs pétroliers, ensuite la fin de l’ère keynésienne, la mondialisation et le passage à l’euro.

Il est clair que ces grandes crises fonctionnent comme des tamis : on s’adapte ou on décroche ! Pour l’instant, comme on ne s’est pas adapté, on décroche.

Dans l’adaptation faite par Raymond Barre au choc pétrolier, c’est vrai que 1981 était une tragédie. En effet, les choses étaient bien parties, en tout cas pour la compétitivité, mais beaucoup moins bien pour l’État.

En ce qui concerne la compétitivité, les exportations françaises ont augmenté de 50 % entre 1973 et 1979 : c’était très bien.

En revanche, les dépenses publiques ont augmenté de 40 à 47 % du PIB entre 1974 et 1981.

Il y a eu l’arbitrage qui a ressemblé à celui fait par Mitterand en 1983, c’est-à-dire, on avait commencé à libérer le secteur privé et à lui permettre de s’adapter, mais cela s’est fait au prix d’une formidable inflation de la fonction publique, des dépenses publiques et des prélèvements.

Cette divergence aujourd’hui a fini par être entièrement négative, car le secteur public avec son improductivité et ses surcoûts a cannibalisé le secteur privé.

Ensuite on a connu une formidable accélération en termes de dégradation : après le choc de 1981, une libéralisation hémiplégique entre 1983 et 1986 qui s’est poursuivie entre 1986 et 1988, mais avec cette énorme divergence. Ensuite tous les chocs qui sont intervenus : récession des années 1990, puis les 35 heures, la grande crise de 2008, la crise de l’euro de 2009. La France a des surcoûts qui ont démesurément augmenté et l’on a refait l’erreur de 1974/1975, on a mis tous les coûts sur les entreprises, le secteur privé et le secteur productif.

Le blocage français, c’est donc bien le blocage de la compétitivité et la dérive des finances publiques qui a été bien aggravé par l’euro parce qu’on a supprimé les 2 variables d’ajustement traditionnelles, à savoir l’inflation et la dévaluation.

Tous les ajustements sont maintenant des ajustements réels, c’est-à-dire moins de production, moins d’investissements et moins d’emplois.

Quand on regarde les voies du redressement, évidemment comme il a été souligné, le monde d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le monde de Raymond Barre : il n’y a plus d’Union soviétique, il n’y a plus de « bipolaires », il n’y a plus de keynésianisme en dehors de notre pays, il y a un capitalisme organisé, il y a une grande révolution technologique, autant de composantes d’un univers différent.

Cela dit, quand on regarde un peu autour de nous, on s’aperçoit que, d’abord les pays sous-développés ne sont absolument pas condamnés au déclin, les histoires de décroissance au 21e siècle sont des « fumisteries d’intellectuels américains ». Quand on regarde la classe moyenne du Sud, le décollage de l’Afrique, la révolution technologique, l’économie de la connaissance, l’économie de l’environnement, les seniors, on a tout ce qu’on veut comme sources de croissance. Le problème c’est de savoir si l’on arrive ou non à les capter !

Ce qui est spectaculaire aussi, c’est qu’il n’y a pas d’explication culturaliste : on a expliqué pendant longtemps que les pays européens, les pays méditerranéens, les pays catholiques étaient incapables de faire des réformes. Tout ceci est faux : l’Espagne et l’Italie se sont formidablement réformées au cours des années passées.

Simplement, comme on l’a évoqué, pour réformer un pays, il faut du leadership, il faut un mandat politique clair, il faut des projets, des forces politiques et sociales qui les soutiennent, une pédagogie des citoyens, une méthode et un calendrier. On n’a jamais réuni ces conditions depuis les années 70. Et voilà pourquoi la France connaît ce double paradoxe : c’est un peu comme l’Angleterre des années 70, effondrement politique social mais un pays qui garde des atouts importants en termes de démographie, de capital humain, de capital immatériel, même d’épargne, de pôles d’excellence public ou privé, de civilisation, mode de vie, et ça c’est le premier paradoxe : comment peut-on arriver à un résultat pareil avec des atouts aussi éclatants ? C’est la « théorie des climats » de Montesquieu, c’est quand on est un pays béni des dieux que l’on peut faire autant de bêtises ; si on est Japonais, avec les séismes, avec le climat, avec la dureté de la nature on survit alors qu’en se désunissant et en étant déraisonnable, on ne survit pas très longtemps !

Chez nous malheureusement on peut attendre longtemps avant de voir les effets.
L’autre paradoxe, bien sûr, c’est que tout est connu, en tout cas sur l’économie : l’éducation, l’intégration d’une partie de la jeunesse des Musulmans, le rétablissement de la paix civile, la lutte contre le terrorisme, ce sont des problèmes à l’échelle d’une génération.
Faire redémarrer l’économie française, on l’a vu avec Canada, Suède dans les années 90, Allemagne : en deux ans on a retourné l’économie, en cinq ans on a des résultats très importants.

Simplement il faut le faire et cela n’a jamais été tenté depuis Raymond Barre.

Il faut le faire en travaillant sur la compétitivité qui est une compétitivité globale. À court terme c’est le problème du taux de marge des entreprises pour financer, comme on l’a rappelé, avec le théorème de Schmidt l’investissement, l’innovation et l’emploi ; c’est aussi évidemment la flexibilité du travail, mais il est vrai qu’à long terme il faut travailler sur tous les facteurs de production :

  • le travail, ça c’est de l’éducation (on en reparlera plus tard),
  • l’épargne, aujourd’hui on l’a tuée avec une fiscalité confiscatoire et le peu qui reste, on l’oriente exclusivement vers le déficit public,
  • la technologie connaît un retard considérable en termes de robotisation,
  • l’appareil productif de plus en plus obsolète,
  • l’énergie : quand François Hollande est allé voir Obama pour lui dire qu’il avait le gaz de schiste et qu’il faudrait en envoyer, Obama lui a répondu « mais vous avez le nucléaire ! » et il a parfaitement raison. La France est un pays qui a détruit tout son secteur énergétique qui réussit aujourd’hui d’être très coûteux pour le consommateur, pénalisant pour les entreprises, moins performant qu’il ne l’était sur le plan des émissions, et par ailleurs on dégrade l’autonomie stratégique du pays contrairement à ce qui avait été fait dans les années 70. Là encore nous sommes les seuls responsables de cet état de fait.

Sur les finances publiques, c’est la même chose : il n’y a de fait pas d’alternative à une baisse simultanée des dépenses et des prélèvements. La fiscalité est confiscatoire et ce qu’il faut bien voir, c’est que dans cette économie de la connaissance, le premier facteur de production, cela reste les hommes, les entrepreneurs et les cerveaux ; à partir du moment où on a mis un système dans lequel les deux tiers des jeunes qui sortent des meilleures grandes écoles sont incités à partir à l’étranger parce qu’il n’y a pas de perspectives et que, s’ils créent et réussissent en France, l’État confisquera tout, effectivement on aboutit à la catastrophe actuelle : on stocke des gens qui sont des chômeurs structurels et on exporte des gens qu’on a formés gratuitement et qu’on met ensuite à la disposition de nos concurrents.

Par conséquent, la réforme de l’État est clé dans les trois composantes :

  • le cœur de l’État avec un nécessaire réinvestissement dans le régalien,
  • l’État-providence
  • les collectivités territoriales qui constituent l’endroit où la dérive a été la plus importante avec les transferts sociaux.

Là encore, faire cela, c’est remettre la France en train, c’est aussi lui permettre de redevenir un pays qui compte en Europe puisqu’aujourd’hui, pour tous les pays du monde, l’Europe se résume à Madame Merkel qui elle-même est en grande difficulté compte tenu des erreurs qu’elle a commises en matière d’asile et d’immigration.

Aujourd’hui il n’y a donc plus de leadership en Europe et on en voit les conséquences tous les jours et, encore la dernière fois à Bratislava.

Le Général de Gaulle disait que la France est un pays qui ne fait des réformes qu’à l’occasion des révolutions, Raymond Barre, après Georges Pompidou, avait très bien compris que la révolution aujourd’hui, est à l’extrême-droite et non plus du tout à gauche, a fortiori depuis la fin de l’Union soviétique.

Donc il est bien vrai que 2017 est sans doute la dernière chance d’éviter cette révolution à l’extrême droite et ceci demande de la cohérence entre la pensée, les paroles et les actes. C’était exactement ce qu’avait mis en place Raymond Barre avec une rigueur qu’on dit économique, mais qui était avant tout et surtout une rigueur intellectuelle et morale.

Voilà ce que disait Raymond Barre  : « Si vous entendez par libéralisme économique la doctrine du laisser-faire, laissez-passer, alors je ne suis pas de ce libéralisme-là, si vous entendez par libéralisme économique la gestion décentralisée d’une économie moderne, assumée par des institutions et des centres de décision privés, et comportant une intervention régulatrice de l’État, alors vous pouvez me tenir pour un libéral. »

Eh bien, réformisme et libéralisme sont les deux mamelles du redressement de la France !
Merci ! (Applaudissements)

Jean-Marc Daniel

Voilà un exposé à la fois brillant et très fourni, et nous allons demander à l’homme politique de la table ronde de réagir à cela. Qu’il me soit permis aussi à titre de transition, Nicolas Baverez a parlé de Montesquieu et des climats, je me souviens que David Hume qui a été Chargé d’affaires du Royaume-Uni à Paris, racontait que, effectivement l’Angleterre était victime de son climat, et que tout pays est obligé de réagir à une adversité pour se réaliser, en Angleterre c’était le climat et en France, c’était la fiscalité et la différence qui opposait le climat et la fiscalité, c’est que le climat avait des limites ! (rires).

Albéric de Montgolfier

La fiscalité n’en a pas et l’imagination fiscale encore moins, on va le voir avec le prélèvement à la source qui va être un beau débat.

Le sous-titre de notre colloque, c’est « Quarante ans après, est-ce que cette analyse demeure ? » C’est un sujet particulièrement pertinent, puisque l’on peut se poser une question en introduction : « est-ce que finalement, en vous entendant, Raymond Barre a eu raison trop tôt ? » On ne sait pas, on y répondra peut-être tout à l’heure, mais dans tous les cas, lorsqu’il avait le courage de dire «  la France vit au-dessus de ses moyens », il avait été sans doute celui qui avait, le plus tôt, eu le courage d’identifier des réformes indispensables qui sont toujours d’actualité et qui vont d’ailleurs très largement, je le pense, occuper les débats présidentiels.

Ces réformes, toujours d’actualité, qui sont plus urgentes que jamais, ont été esquissées par les uns et les autres, et Raymond Barre avait évidemment identifié les questions dans le domaine de la compétitivité, dans le domaine des finances publiques, de la réforme de l’État, de l’enseignement supérieur également, vous voyez les articles en ce moment sur les nombreux étudiants qui ne peuvent pas trouver de place parce qu’il n’y a pas de sélection à l’université, autant de débats qui avaient été abordés dans les années 80 par Raymond Barre, qui prônait une autonomie des universités qui n’est encore qu’imparfaite puisqu’on le voit, le problème de la sélection reste une question en débat.

Alors, il faut bien le souligner, et c’est ce qui m’a frappé en préparant mon exposé de cet après-midi, c’est que Raymond Barre avait clairement mis en avant le lien étroit entre finances publiques et compétitivité. On a dans le document qui nous été préparé un certain nombre de citations de faits et arguments, je voudrais vous en mentionner une, puisque Raymond Barre soulignait la nécessité pour renforcer la compétitivité des entreprises, clé de la lutte contre le chômage, de procéder à une simplification du système fiscal, -on en est loin !-, à une harmonisation de la fiscalité au niveau européen, -on est encore plus loin !-, et à une réduction de l’impôt sur les sociétés, -vous voyez que c’est en débat !-, c’est en fin de quinquennat que le gouvernement nous dit « on va peut-être progressivement baisser le taux de l’impôt sur les sociétés, la France avec 33 1/3 fait partie des pays avec un taux des plus élevés et… réforme de baisse progressive de l’impôt sur les sociétés, au moins sur les PME, mais dont les effets évidemment seront pour le quinquennat suivant.

Si l’on se réfère aux écrits plus anciens de Raymond Barre, il est clair que cette problématique est liée à celle de la baisse des dépenses publiques et pour lui constituait une priorité, en tout cas une condition ?… d’énergies du secteur privé.

Je l’ai dit, tous ces sujets vont faire l’objet des débats de la présidentielle, et c’est vrai qu’ils restent d’une actualité brûlante. Et là, il faut vraiment rendre hommage à Raymond Barre d’avoir su le premier parler de la nécessité de préserver notre industrie qu’il voyait comme le fondement de la compétitivité ; et bien sûr on va penser à tout ce qu’il a dit sur la recherche, la technologie, sur l’investissement des entreprises et si je reviens clairement du côté des entreprises, ce que Michel Cicurel a abordé, moi je partage ce qui a été dit sur la compétitivité du système fiscal et la nécessité de baisser les charges des entreprises. Lorsqu’on a des prélèvements sociaux à peu près de l’ordre de 45 % de la richesse, on a besoin de réformes et ce n’est malheureusement pas le CICE, extrêmement complexe ou sur amortissements finalement, qui ne sont que décor actif… Pourquoi on a inventé des dispositifs aussi complexes, c’est uniquement pour des questions de trésorerie budgétaire plutôt que d’avoir, par exemple, la TVA sociale, qui aurait eu un impact budgétaire sur l’année, on a inventé le CICE, crédit d’impôt, mais, avouez que l’on est dans un système fou : on a une banque publique d’investissements, dont la première mission a été de mobiliser des créances fiscales. Concrètement, est-ce le rôle d’une banque publique d’investissements que d’avancer aux entreprises concrètement, des crédits d’impôt qui leur seront remboursés par la suite. Évidemment, on a complexifié le système à l’envi ; là j’ai le FS fiscal que j’essaie de regarder pour la loi de finances pour l’année prochaine, je crois qu’on peut prendre n’importe quel dictionnaire, le FS fiscal y est entré, et on peut faire le petit test, -on s’était amusés pendant une séance de nuit l’année dernière.. je leur demandais de sortir un mot du dictionnaire et il a toujours une entrée dans le FS fiscal, vous pouvez faire le test, on réussit à tous les coups ! –

Malheureusement les réformes qui sont annoncées ne vont pas dans le sens de ce que Raymond Barre souhaitait, c’est-à-dire « décomplexifier notre système » : il y a le problème des taux élevés, on en a parlé les uns et les autres, il y a aussi, sans doute, dans ce qu’on peut reprocher à notre pays, la complexité du système et son instabilité. Prenons par exemple un domaine qui me frappe, le domaine de l’investissement locatif où en permanence on dit qu’on ne construit pas assez de logements, il faut encourager chaque ministre du logement va donner naissance à un nouveau dispositif fiscal à son nom et le dispositif n’a même pas le temps d’entrer en vigueur que le ministre suivant impose un autre dispositif… il y a des incitations fiscales qui perdurent et tous les ministres, vous le voyez, ont donné lieu à un amortissement fiscal, donc personne n’y comprend plus rien.

La complexité du système, sa stabilité sont vraiment, je crois, au cœur de la compétitivité et cela, Raymond Barre l’avait parfaitement compris lorsqu’il parlait de la complexité du système ! Un petit mot, puisqu’on ne va pas, je le disais il y a un instant, dans le sens d’une amélioration, je pense que nous allons débattre dans les prochaines semaines du prélèvement à la source, idée qui paraît séduisante, qui semble exister partout en Europe, mais quand on y regarde, on va faire perdurer deux systèmes : un système de prélèvement à la source pour les seuls salariés et les seuls pensionnés, à côté d’un système d’acomptes pour tous les autres revenus (les revenus fonciers, les revenus exceptionnels, les dividendes, les pensions alimentaires, etc.). Le système va devenir encore plus complexe que le système d’acomptes qui aurait été généralisé.

Alléger le poids de la charge fiscale, cela implique un investissement de fonds publics, et sur ce point, Raymond Barre avait suggéré une méthode, qu’on a sans doute expérimentée par la suite, avec plus ou moins de succès, puisque dès 1989 il appelait à la réalisation d’audits qu’il avait lui-même commandés lorsqu’il était à Matignon et je cite l’objet de ses audits «  faire apparaître ici et là les différences, les déficiences, les insuffisances, les gaspillages et indiquer les actions à mener pour obtenir partout une plus grande compétitivité du secteur privé ». Et il voyait dans cette compétitivité du service public ce qui était garant de la compétitivité nationale et du niveau de vie des Français. Alors évidemment faire des audits ici et là, c’est sans doute une méthode qui a été mise en œuvre avec plus ou moins de succès par la suite, vous connaissez les noms, cela s’es appelé la RGPP, puis la « modernisation de la présence publique », aujourd’hui on parle de « revues de dépenses ». Au début de ce quinquennat le gouvernement nous avait fait grand cas de ces revues de dépenses, on les a attendues, on les a vu arriver… les documents parlent de « frais postaux » pour le Trésor public, comme vous voyez, les sujets sont plus ou moins majeurs, en tous les cas, comme peut-être Raymond Barre l’avait regretté à l’époque, cela n’avait pas eu forcément un grand succès du fait de l’absence de portage politique. Il faut bien avouer que ces fameuses « revues de dépenses » restent à un niveau technique et assez passablement ennuyeux, en tout cas ne sont pas portées politiquement ; je n’ai pas vu une revue de dépenses qui ait donné lieu clairement à une réforme ou à une réduction de la dépense publique. En tous les cas, Raymond Barre avait tracé la voie de tester ici et là dans les secteurs, un plan concret d’économie pour essayer d’obtenir cette compétitivité. Et incontestablement le courage, la rigueur en matière budgétaire sont des impératifs qu’il faut aujourd’hui retrouver comme l’avait souhaité Raymond Barre pour remettre la France sur le chemin de la création d’emplois.

Les uns et les autres ont abordé en anticipation les futurs débats de l’élection présidentielle, un certain nombre de questions et je partage ce qui a été dit par Michel Cicurel à l’instant : faire 80, faire 75 ou 100 milliards d’économies sur les seules dépenses budgétaires de l’État, c’est extrêmement difficile, les marges de manœuvre sont très limitées, ne serait-ce que par le poids de la masse salariale de la Fonction publique. On a au Sénat un rapport intéressant de la Cour des comptes qui avait fait l’objet d’une grande diffusion l’année dernière et qui portait sur la masse salariale de l’État. Évidemment étaient montrés les régimes de primes connus, le temps de travail moyen, en fait un quart seulement des fonctionnaires étaient au régime normal et les trois quarts étaient à un régime dérogatoire. On voit donc bien que des marges de manœuvre existent… et sur le premier poste du budget de l’État si l’on ajoute les pensions, on doit être à peu près à un milliard d’euros de dépenses.

Cependant, quand on voit les efforts annuels que cela représente, on comprend qu’il faut plusieurs années pour y parvenir. Chaque année au Sénat, à la Commission des finances et ensuite en assemblée, nous avons voté un certain nombre d’amendements qui donnent des pistes concrètes : par exemple remettre les trois jours de carence (cela a été une énorme erreur du gouvernement de supprimer ces jours de carence), geler temporairement les promotions pour éviter le fameux GVT, supprimer un certain nombre de régimes dérogatoires, et tout simplement aussi agir sur le levier du temps de travail puisqu’on l’a calculé, passer seulement dans la Fonction publique à 36 heures, cela permettrait… et si on portait le temps de travail à 37 h 05, cela représenterait un gain de 5 milliards d’euros par an. C’est ce que j’ai fait dans mon Conseil départemental et j’ai vu qu’à une petite échelle c’était extrêmement difficile de supprimer 2 jours de RTT à du personnel sans compensation, mais on peut certainement y arriver. Mais je suis d’accord, ces seules mesures Fonction publique ou budget de l’État n’y suffiront pas : il faudra toucher au périmètre des transferts sociaux pour atteindre quelques dizaines de milliards d’euros qui sont actuellement en débat. En tous les cas, vous voyez que mettre en œuvre de telles mesures, celles au moins qui auront des fruits significatifs, appelle beaucoup de courage, ce courage dont avait su faire preuve Raymond Barre lorsqu’il s’était trouvé face au choc pétrolier avec des budgets très difficiles et on nous le rappelait à l’instant : en 1980 la situation était meilleure qu’à l’origine.

Raymond Barre a-t-il eu raison trop tôt ? Il a sans doute eu tort d’avoir raison trop tôt, y compris sur le plan de l’Europe puisque dès 1980 il disait : « depuis 1958 je n’ai pas connu une année où l’on ne parlât de la crise de la communauté, de sa mort lente ; or elle a surmonté toutes les crises  » donc Raymond Barre a sans doute de ce point de vue été un visionnaire. Peut-être une chose qui, pour moi, a fondamentalement changé et qui aujourd’hui représente le principal danger pour prendre des décisions courageuses : c’est la faible inflation et les taux d’intérêt extrêmement bas qui ont un effet anesthésiant sur nos décisions et qui risquent dans le débat de l’élection présidentielle de conduire à avoir des choix finalement peu courageux.

On est aujourd’hui à 150 milliards, le chiffre baisse tous les jours, et le gouvernement s’apprête à affronter une légère dégradation du déficit, je vous rappelle qu’en comparaison aux autres pays, on est avec le Portugal et la Croatie le pays qui en Europe continue à connaître un déficit excessif. Tous les autres pays ont fait des progrès considérables grâce à leurs réformes, notamment en Europe du Sud, et la France, quand on regarde la trajectoire des autres, se distingue malheureusement par sa dégradation. On nous dit « oui, ça va aller mieux, les 3 % d’août, on y arrivera, etc., etc. », mais on fait partie des pays à déficit excessif qui voient sans doute la perspective du retour au 3 % s’éloigner.

Mais tout cela n’a pas l’air de susciter beaucoup de réactions, d’émois, certains même préconisent de laisser filer les déficits et cela est dû sans doute à l’effet anesthésiant des taux bas. Le meilleur ami de M. Hollande, c’est sans doute la finance : c’est la finance qui lui donne la possibilité d’emprunter à des taux extrêmement bas, et qui fait que paradoxalement notre dette n’a jamais été aussi élevée, mais la charge de la dette diminue, grâce à la technicité du Trésor qui sait renégocier des emprunts meilleurs, mais qui a aussi un effet anesthésiant.

Et c’est là où il faudrait être très prudent, car cent points de base de plus, c’est quelque 119 milliards ou 120 milliards d’euros qui se profilent en sept ans, la dette moyenne ayant en moyenne une maturité de sept ans.

Voilà, avec le professeur Casanova, on nous faisait plancher sur des magnifiques dissertations d’économie, il y avait toujours le mot « inflation » dans la question (« comment peut-on vaincre le chômage sans diminuer l’inflation ? »…) Quand on entend aujourd’hui le Gouverneur de la Banque de France dire « notre souhait c’est de parvenir à 2 % d’inflation, il faut que l’inflation augmente », on s’aperçoit à quel point la donne a changé sur ce plan-là. Les déficits restent, la complexité fiscale reste, le taux de prélèvement obligatoire élevé reste, tout cela reste vrai ; est-ce une chance si les taux d’intérêt sont faibles et qui ont pour nous un effet anesthésiant et ce que je ne voudrais pas, c’est qu’ils soient une véritable anesthésie pour les propositions que nous aurions à vivre lors des élections présidentielles en nous disant : « finalement nous avons un petit peu de marge de manœuvre, puisque l’on continue à nous prêter et cela coûte de moins en moins cher. »
(Applaudissements)

Jean-Marc Daniel

Merci !
À ce stade et à titre personnel sur l’inflation, ça fait mon pouvoir d’achat la baisse de l’inflation, et donc je ne regrette pas l’inflation. J’ai connu une époque où l’on parlait d’« ascenseur » et d’« escalier » et la première fois que je suis entré à l’INSEE, le syndicat local distribuait un tract où il était indiqué que les prix prenaient l’ascenseur et les salaires l’escalier ! Et donc je ne regrette cette époque-là où l’on pouvait avoir un peu de pouvoir d’achat grâce à la baisse de l’inflation.

Mais il faut s’adapter à cette réalité et là je vous rejoins et je pense qu’on en parlait avec Madame Comparelli tout à l’heure, le danger c’est de mal interpréter l’évolution des prix. Celle-ci à l’heure actuelle est en train de traduire des gains de productivité implicites dans l’économie mondiale. Dans la période de Raymond Barre les gains de productivité donnaient lieu à des augmentations de salaires et de revenus, aujourd’hui les gains de productivité parce qu’on est dans une économie de plus en plus concurrentielle, donnent lieu à des baisses de prix. Je rappelle toujours, et puis je vais donner la parole à la salle, en attendant Monsieur Collomb, qui se fait annoncer.

Une des grandes références de Raymond Barre, c’est Schumpeter et vous vous souvenez que cet homme a écrit une remarquable « Histoire de la pensée économique », préfacée dans sa version française par l’éminent Raymond Barre.

Dans cette « histoire », Schumpeter dit que le meilleur économiste français, sans doute le plus grand, c’est Walras, lequel a terrorisé la concurrence. La seule faiblesse de Walras, c’est qu’il a été obligé d’inventer un commissaire-priseur pour considérer que quand on rentrait dans un magasin, en voyant un prix pour savoir s’il faut acheter ou pas, on a dans son inconscient un commissaire priseur qui vous dit quel est le prix dans les autres magasins. Schumpeter dit « c’est idiot, car l’homme n’aura jamais le don d’ubiquité, donc quand vous serez dans un magasin, vous ne saurez jamais quel est le prix pratiqué dans les autres magasins. »

Le commissaire-priseur walrassien, il est là, nous avons maintenant un monde walrassien, un monde concurrentiel, donc précipitons-nous vers Walras, nous verrons que le pouvoir d’achat est transféré dans une économie walrassienne par la baisse des prix. Moi je trouve ça « pas mal ». Ma dernière remarque que vous trouverez injuste avec la fiscalité en termes d’emploi, parce que notre fiscalité a créé pas mal d’emplois : conseillers fiscaux, avocats fiscalistes, et autres spécialistes de la chicane !

Ce que je vous propose, -je ne sais pas si M. Collomb est l’héritier quasi physique de Raymond Barre est prêt à nous rejoindre !-, c’est de donner la parole à la salle pour les quinze à vingt minutes qui nous restent sous forme de questions, éventuellement de remarques. Évitez de vous indigner, car je trouve qu’on s’est beaucoup indigné dans l’histoire récente de ce pays et de l’Europe !

 

Questions de la salle :

1/ Comment peut-on être élu dans un système démocratique proposant la baisse des transferts sociaux qui ont été évoqués autour de la table ?

de Montgolfier
Je vais peut-être vous choquer, mais il faut arrêter les programmes. Les candidats doivent donner des orientations, mais non les “110 propositions”, les “500 propositions”, etc. dans lesquelles ils sont ensuite enfermés. C’est aussi simple que cela. Tous les candidats, une fois élus, se retrouvent enfermés dans, par exemple, la proposition qui a consisté à mettre en place une taxe à 75 %… ensuite on a vu les dégâts que cela a pu causer. Dans ce débat présidentiel cela va être le risque : il y a des surenchères de catalogues, des outils de comparaison informatiques pour les prix, et malheureusement il ne faut pas être trop précis. Il faut accepter de dire dans sa présentation que l’économie…

On dit que les hommes et les femmes politiques ne tiennent pas leurs promesses, mais ils les tiennent souvent malheureusement ; c’est qu’ensuite ils sont victimes des propositions ou des catalogues qu’ils ont présentés.

Il faut donc éviter d’entrer dans les détails. J’ai été rapporteur du budget de la solidarité : on a une progression par exemple de l’allocation d’adulte handicapé qui est de 7 ou 8 % par an ! Comment un pays qui a un taux de croissance de zéro, et une inflation quasi nulle peut-il se permettre des minima sociaux qui progressent de 7 à 8 % par an ? avec des différences par département considérables ; dans certains la progression sera de 2 % par an, on ne pose pas ce genre de question.

Je disais toutes les difficultés de la fonction publique territoriale, par exemple, où il y aura un certain délai de mise en œuvre, voilà une première chose.

Sur l’inflation, si je réagissais ainsi, c’est que tout doit changer dans notre logiciel. On parlait à l’instant d’un impôt sur la fortune à 8 %, moi je suis moins choqué par un tel taux quand on a une inflation à 14 % qu’un impôt à 1,5 % quand on a une inflation à 0 %…

Sur votre question, je voudrais quand même ajouter une autre chose, c’est qu’il est tout à fait faux de dire que les réformateurs ou les gens qui proposent des politiques d’austérité sont systématiquement battus. Regardez Cameron au Royaume-Uni, cela a été une expérience d’austérité extrêmement rigoureuse, il a perdu son référendum pour des raisons strictement politiques et il avait été réélu auparavant. À l’inverse, si vous regardez la situation française, ceux qui n’ont pas fait des réformes ont été systématiquement battus à toutes les élections depuis cette fameuse élection de 1978, donc il est faux de préciser que les gouvernements réformateurs sont systématiquement sanctionnés même s’il y a des risques. La vérité, c’est que ce sont ceux qui ne réforment pas qui sont sûrs d’être battus. »

Jean-Marc Daniel
Merci de ces remarques ! Puisqu’on évoque le passé, j’ai parlé du programme de Blois, les plus anciens d’entre vous se souviennent peut-être du programme de Provins. C’était le programme de 1973 et le Premier ministre de l’époque, qui était Pierre Mesmer, avait annoncé la construction de deux mille crèches ! En fait le programme prévoyait deux cents crèches et la dactylo s’était trompée, elle avait mis deux milles. Et comme les gens qui nous dirigent n’ont pas forcément une claire notion des chiffres et des ordres de grandeur, il avait annoncé deux mille crèches ! Heureusement le malheureux Pierre Mesmer a été libéré de sa promesse par le décès du Président Pompidou parce que Michel Poniatowski qui était le ministre de la Santé par la suite avait annoncé la création de cent crèches…

Ce que je puis me permettre de conseiller aux hommes politiques qui sont dans la salle, c’est de ne faire jamais aucune promesse chiffrée et de faire en sorte de se démentir régulièrement.
Nous avons le plaisir d’accueillir celui que j’ai présenté comme l’héritier, le successeur de Raymond Barre en la personne de Gérard Collomb.

Nous arrivons au terme de notre table ronde : nous avons évoqué Raymond Barre en termes de Premier ministre avec comme enjeux « compétitivité et finances publiques », nous vous écoutons sur Raymond Barre Maire ayant géré la compétitivité et les finances publiques lyonnaises.

Gérard Collomb

Tout d’abord, je suis heureux d’être parmi vous parce que pour moi le souvenir de Raymond Barre est très fort dans ma mémoire. Lorsqu’il était candidat à la mairie de Lyon, il se trouve que j’étais candidat contre lui et j’ai été élu maire d’arrondissement pendant son mandat de maire de Lyon.

La première discussion que nous avons eue ensemble, c’était la discussion suivante :

« Monsieur le maire, voilà, vous auriez aimé avoir tous les arrondissements, moi j’aurais aimé être maire de Lyon, mais c’est vous qui êtes maire de Lyon et moi je suis maire d’arrondissement ! Je suis en même temps chef de l’opposition, il y a deux façons de faire : soit on va s’affronter de manière un peu stérile dans des joutes oratoires sans intérêt, je vais porter uniquement une opposition de principe, ce qu’on fait un peu trop dans nos villes, mais surtout au niveau national, soit on essaie de travailler ensemble. Au niveau de mon arrondissement, si nous avons quelques idées, peut-être les accepterez-vous ! »

Et on a travaillé ainsi ensemble pendant toute sa mandature et il se trouve que l’arrondissement dans lequel j’étais (avec Anne-Marie Comparini et tous les membres élus) était un arrondissement sinistré sur le plan industriel : c’est là par exemple que siégeait la grande usine Diaseta… raisons technologiques, une parmi tant d’autres ! Tout s’était effondré et j’avais une pensée : ceux qui avaient vécu dans un passé glorieux par l’économie revivraient par l’économie, mais évidemment ce ne serait plus l’économie du passé ! Il fallait regarder quelles étaient les innovations en cours et essayer d’attirer tout ce qui était porteur d’avenir. À l’époque, par exemple, ce qui avait le vent en poupe, les meilleures technologies, c’était le jeu vidéo et donc, avec Bruno Bonnell à l’époque, nous avons installé dans le 9e arrondissement ce qui allait devenir Infogrammes ; hélas ensuite une aventure américaine fera qu’il aura moins de succès, il connaîtra quelques difficultés, mais nous avons développé ensemble cet arrondissement.

Comme vous le savez, Monsieur Raymond Barre avait des amis tout autour de la planète et il me téléphonait souvent le samedi en me disant : « Voilà, demain matin, j’ai un ministre, un ambassadeur…. , est-ce que vous accepteriez de regarder dans votre quartier ce qui est en cours de rénovation ? »

Bien évidemment j’acceptais et nous avons ainsi noué des liens qui je pense étaient amicaux. Je me suis aperçu après mon élection qu’il avait fait beaucoup pour moi : en effet dès que je rencontrais un chef d’entreprise, celui-ci me disait : « vous savez, Monsieur Barre nous disait souvent : “Monsieur Collomb, comme maire de Lyon, il ne serait pas mal finalement” !.. et aux Lyonnais, il disait “vous savez centre-droit, centre-gauche, ça ne serait pas un drame si Lyon demain passait au centre-gauche” »

 C’est donc sous ce parrainage-là que je suis devenu maire de Lyon et depuis, j’ai essayé de suivre ce qu’il disait : ce qu’il disait sur la rigueur financière, parce que nous sommes aujourd’hui sur la ville de Lyon au même niveau d’endettement qu’en 2001, date de mon arrivée, ce qui fait un certain temps maintenant et qui montre que l’on ne gère pas trop mal les affaires de la ville, et qu’en tout cas, on avait cette idée que la fuite dans la dette qu’il portait n’était pas la solution.

Ensuite nous avons porté le développement économique de la ville et donc ce que j’avais accompli dans mon arrondissement, nous l’avons fait dans l’ensemble de la métropole lyonnaise, et aujourd’hui c’est une ville en plein développement qui a une dynamique formidable : nous sommes parmi les premiers dans les sciences du vivant, nous sommes en train de transformer notre chimie traditionnelle de base en chimie environnement, sur le numérique, je crois qu’après Paris, nous sommes les deuxièmes en France…

Voilà, c’est ce que j’ai retenu de ma rencontre avec Raymond Barre, à la fois quelqu’un qui fuyait le sectarisme, -il en avait beaucoup souffert, car en tant que Premier ministre, il avait eu à affronter non pas tellement ses opposants de gauche, mais c’était un grand artisan du 49.3, car obligé de l’utiliser de manière abondante pour faire passer ses textes !- ; il avait donc gardé, je crois, un souvenir du fait qu’il n’y avait pas de réussite possible avec une vision sectaire de la France.

Ce message, je l’ai gardé profondément, j’essaie de le faire passer au niveau local, au niveau national peut-être avec moins de succès aujourd’hui, mais on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve ! Peut-être qu’un certain nombre de personnes pourront porter ce qui est son esprit. En tout cas pour reprendre une phrase de Nicolas Baverez, il faut oser réformer ! Comme il l’a dit, si vous réformez, vous pouvez être battu, mais si vous n’allez pas de l’avant, vous êtes sûr d’être battu !

Quand j’ai eu à diriger la ville de Lyon, – c’est toujours compliqué la vie politique même parmi ses amis ! – il fallait porter quelquefois quelques projets et je bousculais un peu les lignes. Il me disait : « tu es complètement fou de faire cela… », je répondais : « non non, on va bousculer les lignes, parce que si l’on ne bouscule pas les lignes, on est sûr la prochaine fois, d’être battu. »

C’est vrai, on peut penser que l’on peut gagner en mettant quelques fleurs dans la ville, moi j’ai toujours pensé que c’était en portant un vrai projet, pour une ville comme pour un pays, que l’on pouvait aller de l’avant et être réélu ! Voilà !
(Applaudissements)

Jean-Marc Daniel
Merci pour ce plaidoyer sur la tolérance en politique et le respect de ses adversaires !
Bruno Durieux veut-il dire un mot de conclusion, car nous arrivons au terme de cette Table ronde ?

Bruno Durieux
Ma conclusion va être très très brève : tout simplement j’ai été particulièrement intéressé par ce que j’ai entendu. Pendant cinq ans, j’ai eu la chance avec Francis Gavois et une bonne équipe d’accompagner Raymond Barre dans la mise en œuvre d’une vraie politique économique. Ce qui frappe aujourd’hui quand on compare les pratiques des quinze ou vingt dernières années à ce qu’était la sienne à Matignon, il y avait une politique économique ! On n’a jamais pris de virage à droite ou virage à gauche selon l’expression actuelle, il y avait une politique unique avec approche globale, c’est-à-dire que tout comptait : les éléments structurels comme les éléments conjoncturels ; il n’était ni keynésien si monétariste, il était plutôt choupeterien en réalité, mais il était surtout global dans son approche et il était cohérent, c’est-à-dire qu’il ne prenait pas de mesures qui allaient contre une disposition qui, par ailleurs, composait la politique unique qu’il menait. Dans les interventions que j’ai entendues, j’ai noté celle de notre ami Michel Cicurel, je ne sais pas s’il est encore là, il a cet esprit paradoxal que Barre aimait et je me suis posé la question : est-ce qu’il défendrait l’idée qu’a été au fond la stratégie de Reagan si l’on remonte dans le temps, qui a été d’imposer une forte baisse fiscale,… et ensuite par la relance de l’activité économique de générer de la ressource, mais une ressource saine. Ce qu’on qualifiait à l’époque de politique keynésienne, mais qui n’en était pas une (la politique keynésienne est une politique de dépenses publiques !), là c’était une politique classique d’allègement de la charge pour développer une position compétitive soit sur le plan intérieur, soit sur l’environnement.

Il y a une chose sur laquelle on aurait pu insister encore plus, mais c’était déjà tellement passionnant, c’est la perception quotidienne qu’avait Barre de la dimension internationale de tous les problèmes économiques et même sociaux. Quand il développait son idée de compétitivité, c’était évidemment par rapport à un environnement mondial dont il percevait bien qu’il changeait profondément. Il a vécu les deux chocs pétroliers et en même temps cet environnement -et là je rejoins fortement ce que disait Nicolas Baverez-, impliquait une adaptation (ce mot revenait dans tous ses discours : pour bouger, il faut s’adapter !). Il avait cette perception de la concurrence internationale et comme le défendait tout à l’heure Nicolas Baverez, le chapitre qui me préoccupe le plus moi, c’est justement le recul de nos positions compétitives dans le monde, d’ailleurs probablement accentué dans les statistiques parce qu’on ne mesure pas (cela fait 20 ans que je le demande à la direction du Trésor !) les vraies parts de marché des entreprises françaises, on mesure les parts de marché de l’activité économique depuis la France, mais les parts de marché des entreprises françaises sont beaucoup plus importantes, simplement elles font ce chiffre d’affaires à l’étranger et pour l’étranger. Par bonheur les revenus sont rapatriés et on les retrouve dans la balance des paiements, mais la dimension internationale était quelque chose d’essentiel à ses yeux. J’apporte une dernière précision si vous me donnez encore une minute : j’ai un souvenir très précis du débat sur la liberté des prix. La libération des prix est l’œuvre de Raymond Barre, je me permets de le rappeler, c’est une vérité, d’autres ont voulu la récupérer. Le premier qui a libéré tous les prix, sous l’autorité du Président Giscard d’Estaing, c’est Raymond Barre : il les a tous libérés y compris les services.

Mais en effet, en 1976, dans les premières semaines où il s’est installé à Matignon, a eu lieu un grand débat entre ses conseillers et lui, pour savoir si l’on devait libérer tout de suite ou non. Il a pris l’option de bloquer, mais vraiment contre sa propre conviction ; en réalité, Michel, il n’en voulait pas de ce blocage, mais tout le monde : le directeur du Trésor, le directeur du budget, le gouverneur de la Banque de France, le directeur des prix (c’était son métier) lui demandaient instamment de bloquer pour éviter un dérapage général. Il l’a fait à son corps défendant, c’était assez poignant d’ailleurs. Il a donc bloqué les prix, mais les a ensuite libérés très rapidement et par étapes. Je me souviens que l’Administration était contre cette politique, elle était d’ailleurs contre la politique de Barre : par exemple, la libération du crédit (le secteur financier était totalement encadré en 1976 : tout était contrôlé, le moindre crédit, le moindre taux), son idée était de libéraliser tout cela et il se heurtait à une très forte réticence de l’Administration. S’il a surmonté cette réticence, c’est qu’il était objectivement très fort ; il avait une conviction, il avait de la culture et il connaissait vraiment l’économie !