Le Figaro : Macron préside la France en bon élève du professeur Barre

LE FIGARO / OPINIONS / 19 janvier 2018
Anne de Guigné

Le programme économique d’Emmanuel Macron reprend, point par point, les mesures que défendait Raymond Barre quarante ans plus tôt.

Des technos passionnés d’économie qui se placent « au-dessus des partis  » et assurent mépriser la politique politicienne… S’il avait vécu quelques années de plus, Raymond Barre, premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing entre 1976 et 1981 puis maire de Lyon de 1995 à 2001, aurait sans aucun doute été séduit par la personnalité et le positionnement décalés d’Emmanuel Macron. À moins que le jeu de miroirs ne l’eût repoussé. L’ancien vice-président de la Commission européenne aurait en tout cas applaudi le programme économique du chef de l’État qui reprend, point par point, les mesures qu’il défendait lui-même quarante ans plus tôt.

Cette plongée nostalgique se défend d’autant plus que les idées neuves sont rares, en économie comme ailleurs ! Et Raymond Barre reste une figure, lui, le premier dirigeant, au pouvoir après la crise pétrolière, à renoncer au dogme de la relance par le déficit, alors que le pays découvrait la croissance atone et le chômage de masse.

Raymond Barre prend les clés de Matignon en 1976 après la démission d’un keynésien convaincu, Jacques Chirac. Pour présenter aux Français ce professeur de politique économique peu connu, Valéry Giscard d’Estaing trouve des accents guerriers en le surnommant le « Joffre de l’économie ». Sa mission est simple : redresser le pays avant les législatives de 1978. Sa priorité ? Améliorer la compétitivité des entreprises. Son remède ? Libéraliser le marché du travail afin que les salaires soient mieux corrélés à la productivité.

Son discours de politique générale d’octobre 1976 donne d’ailleurs déjà le ton. « La France fait face à des problèmes d’emploi qui tiennent à plusieurs causes : l’aspiration au travail d’un nombre croissant de femmes, ce qui est légitime, la fuite des jeunes devant les emplois manuels, l’inadaptation entre les offres et les demandes d’emploi, due à une formation initiale insuffisante », plaidait-il alors. Pour y répondre, le premier ministre promet de revaloriser le travail manuel, de simplifier et déconcentrer la formation professionnelle, et de travailler sur la réinsertion des jeunes chômeurs.

Les ordonnances travail ou les réformes de l’apprentissage et de la formation, en préparation, ont les mêmes ambitions. Dans la limite du volet monétaire (la future zone euro est alors embryonnaire), les parallèles avec Macron sont très nombreux. Le plan Barre souhaite rétablir le commerce extérieur et réduire le déficit budgétaire. Sa politique industrielle semble tout aussi contemporaine. Il est le premier politique d’après-guerre à suivre une philosophie schumpétérienne, en assumant d’abandonner à leur sort les « canards boiteux », les entreprises peu compétitives qui subsistent uniquement grâce à l’aide publique.

Ce corpus secoua fortement le Landerneau politique. Le premier ministre n’invente pourtant pas grand-chose. Il reprend, en les adaptant au cadre français, les grands principes libéraux en vogue à l’époque. L’OCDE recommande ainsi dès 1978 de revoir l’efficacité de l’action publique et d’assouplir le fonctionnement du marché du travail. Déjà…

Derrière le parallèle entre les deux hommes, se pose la question de la pertinence des choix de Macron. Si les mesures libérales que met en œuvre le président ont déjà été expérimentées en France, notamment par Raymond Barre, n’auraient-elles pas dû déjà faire la preuve de leur efficacité depuis quarante ans ? Or la croissance du pays n’a jamais semblé aussi structurellement basse et le chômage élevé. À la décharge des rares gouvernements qui se sont efforcés de réformer le pays en ce sens, aucun, avant Macron, n’avait bénéficié d’assez de temps et d’une conjoncture propice.