Quelques références sur les 4 thèmes

40 ANS APRES, LES ANALYSES DE RAYMOND BARRE DEMEURENT…

I- L’EXERCICE DU POUVOIR 

L’Autorité de l’État

L’autorité de l’État est entamée. La confiance que pourrait placer le pays en ceux qui gouvernent a dangereusement baissé. Il n’est pas sûr que la classe politique, dans son ensemble, ne pâtisse pas elle-même d’un certain discrédit.
Parler de l’autorité de l’État, c’est aller bien au-delà des questions de sécurité ou d’ordre public. Il ne s’agit pas non plus, simplement, de déterminer ce que peuvent être les voies du redressement de la France.
Le problème posé est celui de la représentation que se font les Français de la valeur de leurs institutions, de la capacité de notre démocratie à surmonter les difficultés auxquelles notre pays est confronté. La France a besoin d’un discours sérieux, qu’il vienne de l’actuel pouvoir ou de l’actuelle opposition.
La clarté dans les desseins, la persévérance dans l’action : voilà ce dont la France a besoin aujourd’hui et aura besoin demain. Le vrai problème de la France est un problème politique : avoir un Gouvernement qui montre sans ambiguïté aux Français qu’il gouverne pour la France.

Faits & Arguments, avril 1984

L’État impartial

L’État doit restaurer son impartialité : il lui faut témoigner de son indépendance à l’égard de toutes les factions pour être pleinement, et honnêtement, le serviteur efficace et loyal de tous les citoyens.
À cette fin, l’administration, les entreprises et les services publics gagneraient à être mieux protégés de la politique. Le lien entre la conjoncture électorale et le déroulement de la carrière de nombreux agents publics est devenu trop évident pour ne pas altérer la neutralité de l’administration dans son ensemble.
Il faut en revenir à plus de transparence et plus de rigueur.
Ma volonté de garantir l’impartialité de l’État me conduit aussi, tout en reconnaissant pleinement le rôle des partis politiques dans notre démocratie, à refuser toute dérive vers l’État-parti. Cette tendance existe manifestement.
L’histoire des Républiques antérieures en illustre les conséquences, au premier rang desquelles figure la désaffection des citoyens pour la vie politique et les institutions.
La Constitution, en confiant au président de la République la légitimité nécessaire pour exercer un arbitrage national par-delà les contingences politiques, le met en situation d’incarner l’État (…)

Faits & Arguments, mars 1988

Politique, désenchantement et extrêmes

Quand ils paraissent se désintéresser de la politique et quand ils déversent leur irritation sur les hommes politiques, les Français ne montrent-ils pas en fin de compte leur déception de ne pas avoir une politique claire et vigoureuse du Gouvernement à approuver ou à combattre, une politique qui ne puisse être un objet d’indifférence ? Une politique, c’est-à-dire des objectifs et des moyens, des explications et des actes ! Les Français ont toujours eu besoin de sentir qu’ils étaient gouvernés, quelles que puissent être par ailleurs les irritations et les revendications en tous sens ! C’est en tout cas la seule façon d’éviter le recours aux extrêmes qui est peut-être le plus grand risque de la situation actuelle.

Faits & Arguments, 1992

 

II- SITUATION DE L’EUROPE

Le sens de l’engagement européen

Aucun Gouvernement signataire du traité n’envisage la dissolution de son pays dans l’Union européenne. Celle-ci est une union de nations et d’États qui entendent conserver leur identité et leur spécificité. Les États mettent en commun certaines compétences bien déterminées de manière à pouvoir les exercer plus efficacement, notamment sur la scène internationale. Les États conservent toutes leurs responsabilités à l’égard de la vie nationale (sécurité intérieure, éducation, protection sociale, notamment). La France ne disparaîtra pas, même si elle est membre de l’Union européenne. Nous resterons français, et nos enfants aussi. Et ainsi en sera-t-il de l’Angleterre et des Anglais, de l’Allemagne et des Allemands, de l’Espagne et des Espagnols, et de tous les autres.

Faits & Arguments, n° 11ns, mai-juin 1990

La place de la France

Pour la France, le développement et le renforcement de la Communauté européenne ont toujours procédé d’une vision politique tendant à constituer à l’Ouest de l’Europe un pôle de puissance et de prospérité qui assure la paix et le développement sur le vieux continent et à affirmer une « personnalité européenne sur la scène mondiale. »
Mais le rang et l’influence de la France dépendront moins de textes juridiques ou de garanties que de la valeur propre de notre pays.

Discours à l’Assemblée nationale, mai 1992

Fidélité à l’Europe

Les Français doivent se convaincre que seule la construction européenne, poursuivie dans la rigueur et dans la clarté, permettra à notre pays de conserver sa place et son influence dans le monde. Mais aussi que seule la construction européenne répond aux attentes de ceux qui souhaitent plus de prospérité et de justice. Le repli sur soi ne serait pas seulement fatal au rôle international de notre pays. Il le serait tout autant au niveau de vie, aux conditions matérielles d’existence des Français. C’est l’intérêt national le plus pressant bien plus qu’une idéologie « européenne » qui doit en fait inspirer notre engagement pour l’Union européenne.
Je ne peux observer sans inquiétude, et parfois sans stupéfaction, les conceptions de ceux qui prétendent opposer la souveraineté nationale à l’action en faveur de l’union de l’Europe.
Cette opposition est entièrement dépassée. À l’heure de la globalisation des échanges et de l’influence prépondérante des marchés financiers, à l’heure des guerres larvées ou déclarées tout près de nous, comment ignorer que seule l’Europe unie rendra à la France comme à chaque nation d’Europe une marge de manœuvre qu’elle est insensiblement en train de perdre ?
La souveraineté dont nous entretiennent les tenants de l’isolement français est une souveraineté purement formelle. Je lui préfère la souveraineté réelle qui doit naître de la poursuite de la construction de l’Europe.

Faits & Arguments, n° 29/31 ns, février 1995

III- GRANDS ÉQUILIBRES ET COMPÉTITIVITÉ

Emploi – Compétitivité

Il faut créer des emplois sains et durables. Le seul moyen d’y parvenir, c’est la compétitivité.
La compétitivité, c’est d’abord avoir des entreprises performantes, qui innovent, qui investissent, qui s’adaptent à l’évolution de l’économie mondiale, qui vendent mieux que les autres.
Dans cette perspective, une bonne politique pour l’emploi doit reposer sur quatre actions fondamentales :

  • Elle doit d’abord reposer sur la formation.
    La rénovation de notre système éducatif est une clé de l’amélioration de l’emploi. Cela passe évidemment par une rénovation de notre système universitaire qui doit disposer de plus de moyens et de plus d’autonomie. Mais cela passe aussi par l’institution d’une véritable cogestion, entre l’État et les entreprises, du système de formation technique et professionnelle.
  • Il faut, en outre, consacrer un immense effort en faveur de la recherche et de la technologie qui devront être de grandes priorités.
    Pour cela, il faudra sans doute que notre effort privé et public se porte progressivement à près de 3 % du PIB.
  • Le troisième axe de l’action à mener, c’est l’investissement des entreprises.
    Si nous n’investissons pas, nous serons contraints d’importer pour satisfaire les hausses de la demande. Il faudra créer un système d’incitations fiscales à l’investissement.
  • Enfin, pour créer des emplois, il faut encourager la création d’entreprises.
    Les jeunes qui veulent créer des entreprises doivent être débarrassés des formalités considérables qu’ils ont à accomplir. Ils doivent, de plus, trouver les crédits bancaires dont ils ont besoin. Enfin, pour rémunérer leur effort, ils seront exonérés d’impôts pendant cinq ans.

À cet égard, ce dont nous avons besoin pour remettre la France en état de compétitivité, c’est d’une réforme fiscale d’ensemble.

Faits & Arguments, mars 1988

Fiscalité – L’État doit donner les moyens de la compétitivité

Il faut d’abord assurer la compétitivité présente et future de la nation dont tout dépend, à commencer par le niveau de vie et le bien-être de la population. Voilà pourquoi un État doit aujourd’hui veiller à la stabilité des règles du jeu, ensuite à réduire les coûts fixes de la nation.
En France, nous avons beaucoup de coûts fixes, tenant en particulier à notre organisation administrative avec quatre niveaux : la commune, le département, la région, l’État, en attendant d’y ajouter le niveau communautaire. Tout cela est source de coûts fixes croissants. On s’en rend compte avec la décentralisation et l’extension des responsabilités données aux unités décentralisées.
Ensuite, la formation des hommes qui est le capital le plus important pour un pays aujourd’hui.
L’investissement, bien sûr ai-je besoin d’insister là-dessus ! Je n’ai depuis 1976, jamais cessé de dire que la France devait investir et rattraper le retard qu’elle avait dans un certain nombre de domaines, non seulement sur le plan de la quantité des capacités de production, mais aussi sur le plan de la qualité des équipements.
Dernier point sur lequel je voudrais insister, c’est le rôle incitateur de l’État. Nous sortons d’une période où l’État de « bien être » dépensait et redistribuait. Or, dans la société moderne, où les hommes aspirent à assurer, par leur accomplissement personnel, le progrès collectif, les incitations prennent une importance de plus en plus grande, incitation à travailler, à entreprendre et à épargner.
Ce sont là trois domaines qui relèvent, pour une bonne part, de l’action de la fiscalité et qui ne peuvent pas être négligés.

Faits & Arguments, n° 18 ns, avril 1992

Secteur public et déficits 

L’économie française comporte à l’heure actuelle deux grands secteurs : un secteur public et un secteur privé.
Je range dans le secteur public l’État, les entreprises nationales, la Sécurité sociale ; ce secteur connaît un déficit massif qui explique l’ampleur du déficit extérieur.
Dans le secteur privé se trouvent, d’une part, les ménages qui perçoivent des revenus de leur activité, consomment et épargnent ; d’autre part, les entreprises qui produisent, offrent des emplois, exportent et investissent.
Pour réduire le déficit extérieur, le Gouvernement devrait réduire le déficit du secteur public. Mais, en fait, il ampute (par la fiscalité) les revenus des ménages, ce qui réduit la consommation et l’épargne ; il accroît les charges des entreprises et contrôle étroitement leurs prix, de sorte que celles-ci ne peuvent plus accroître leur activité et investir.
Il prélève de plus en plus sur le secteur privé au lieu de s’attaquer fortement au déficit du secteur public par la réduction des dépenses. Il comprime ainsi l’activité du secteur privé et décourage les ménages comme les entreprises. Il a donc toutes chances de conserver des déficits importants dans une activité globale stagnante ou déprimée.
Il faut une autre politique : entreprendre la réduction massive des dépenses publiques et stabiliser les dépenses sociales ; alléger la fiscalité, jouer la carte de la liberté pour les ménages et les entreprises de manière à favoriser l’épargne et l’investissement. C’est ainsi que la France pourra maîtriser les problèmes de l’emploi, de l’équilibre extérieur et de l’adaptation à la concurrence internationale

Faits & Arguments, n° 9, octobre 1983

IV– LA FORMATION ET L’ÉDUCATION

Attentes et inquiétude des jeunes

Il faut comprendre l’inquiétude sourde des jeunes à qui l’on a répété qu’il fallait arriver au baccalauréat pour entrer à l’université, de manière à obtenir un emploi, et qui constatent dans la réalité des échecs et des éliminations en cours de scolarité, par une absence de formation adéquate au sortir des études secondaires ou supérieures.
Ajoutez à cela le manque d’enseignants, qui ne peuvent être formés par un coup de baguette magique, l’insuffisance des locaux, alors que les Gouvernements ont promis de conduire 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, et d’ouvrir les universités à tous ceux qui en sont titulaires, alors que celles-ci sont déjà submergées par la masse des étudiants.

Faits & Arguments, décembre 1990

Réformer le système

Il faut casser le système, qui est hyper centralisé et syndicalisé à l’extrême.
Autant je reconnais à l’État, et par conséquent à un ministère de l’Éducation, un rôle d’impulsion, de coordination et d’arbitrage, autant je crois qu’il est incapable d’assurer la gestion d’un système éducatif qui concerne des millions de fonctionnaires, d’élèves et d’étudiants et qui se caractérise par une grande uniformité dans l’utilisation des moyens.
Aussi devons-nous différencier les responsabilités ministérielles, selon qu’il s’agit de l’école, des universités, et de l’enseignement technique et professionnel.
Cependant la pièce maîtresse d’un nouveau dispositif devrait être une très large autonomie des institutions d’enseignement, s’exerçant dans le cadre de quelques règles générales et accordant la responsabilité et l’autorité à un chef d’établissement, travaillant en étroite symbiose avec les professeurs, les élèves et les familles.

Faits & Arguments, décembre 1990

Premier emploi : une attitude active

Au seuil de leur vie active les jeunes ont besoin d’un horizon dégagé et de sentir qu’on leur fait confiance.
Tout ce qui favorise l’adaptation rapide de la formation à l’emploi par le développement des formations en alternance, tout ce qui permet de surmonter le handicap du premier emploi (allongement des périodes d’essai – flexibilité de la rémunération), doit être mis en œuvre. Mais, dans une société où les services doivent occuper une place de plus en plus grande, c’est dans la création d’entreprises que beaucoup de jeunes peuvent, aujourd’hui, trouver l’activité qu’ils recherchent. Aider les jeunes à créer leur affaire, à se mettre à leur compte, en les débarrassant de formalités souvent inutiles, en leur accordant les moyens financiers nécessaires sans exiger les garanties ou les cautions qu’ils ne peuvent souvent fournir, voilà comment favoriser l’emploi en encourageant l’esprit de création dont la France a besoin.
Dans le monde d’aujourd’hui, il n’est plus possible d’attendre passivement, que des emplois soient créés par les entreprises ou par l’État et soient offerts à ceux qui désirent travailler. C’est la création d’une activité qui conduit à la création d’emplois – pour soi et pour d’autres. Cette attitude active à l’égard de l’emploi, n’est-ce point celle qui correspond le mieux à l’imagination, à l’ambition et à l’ardeur de notre jeunesse ?

Faits & Arguments, été 1986

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