INTERVENTION DE GÉRARD LARCHER,
président du Sénat
Jean-Claude Casanova
Le Président Larcher, non seulement nous accueille dans cette salle, mais nous honore de sa présence et il me permettra de l’inviter à dire quelques mots. Je confirme qu’il a tous nos remerciements et notre gratitude.
Président Larcher
Chers Amis,
À un moment où l’on cherche à prendre quelques repères, l’expérience de Raymond Barre et de ceux qui l’ont entouré m’a paru comme quelque chose susceptible de contribuer à un moment de débats. Je vois ici un certain nombre de visages avec qui j’ai partagé et avec qui je partage encore beaucoup de choses, je salue le Président du groupe PPE qui est ici. Et puis, voir ceux qui sont à la tribune, voir le rapporteur général du budget qui naturellement va s’imbiber de tout cela est pour moi un signe de l’actualité de ce colloque.
Quarante ans après, vous dites, ces analyses demeurent et sur les thèmes d’actualité du colloque, je tenais à passer quelques minutes, – vous ne m’en voudrez pas ! – dans une après-midi qui va se poursuivre autour des relations avec l’Algérie que nous avons entamée hier puisque nous avons signé avec le Conseil de la Nation algérien un partenariat et nous vivons un forum parlementaire entre le Sénat de la République et le Conseil de la Nation et, notamment sur deux sujets : l’un sur l’économie et l’autre sur la lutte contre le terrorisme, ainsi que sur la situation régionale.
En tout cas, je vous souhaite le meilleur cette après-midi. Que Monsieur Casanova qui m’a accueilli soit aussi remercié et je vous souhaite le meilleur pour cette fin de journée. Merci !(Applaudissements)
INTRODUCTION par JEAN-CLAUDE CASANOVA,
président de Présence de Raymond Barre
Avant de commencer, je voudrais vous lire une lettre que Valéry Giscard d’Estaing qui n’a pas pu être présent nous a fait parvenir.
« En mon absence, vous saurez exprimer en mon nom ce que j’aurais pu dire sur cette phase importante et réussie de mon septennat et sur celui qui en fut l’excellent maître d’œuvre.
Raymond Barre a été à la tête de l’action gouvernementale, telle que la constitution le définit. Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Oserais-je dire “ni plus ni moins”. Et c’est déjà essentiel et c’est là je crois qu’il faut rappeler la force et la loyauté de Raymond Barre. Je tiens à souligner, car je pense qu’une telle attitude exemplaire dans l’application de la répartition des pouvoirs a été depuis cette époque peu à peu perdue de vue et a fait défaut dans les plus hautes autorités de l’État qui se sont succédé. Cette attitude, fondée sur le respect des institutions, la pratique d’une autonomie associée à une loyauté sans faille, est le meilleur cadre pour l’exercice des fonctions d’un Premier ministre et fait de lui en réalité le plus précieux des conseillers du président de la République. Toutes nos décisions ont toujours été prises en parfaite harmonie. Vous êtes, je crois, cher Monsieur, le mieux placé pour en témoigner, comme moi bien sûr qui en connaissance de cause ai fait appel à lui. Dès 1972, j’avais encouragé Raymond Barre à s’intéresser à la politique en lui disant : observez, faites-vous connaître, après l’avoir fait entrer dans un poste modeste au gouvernement en lui disant d’observer le fonctionnement du dispositif, et après l’avoir nommé Premier ministre, je n’ai jamais eu à regretter mon choix. La France, elle, a quelque raison de regretter sa mise à l’écart des affaires publiques à partir de 1981 et l’abandon d’une politique éclairée que nous avions initiée et qu’il a su mettre en œuvre avec toute sa lucidité, sa foi en l’Europe et son respect absolu des institutions. C’est de cela que vous allez débattre et je suis heureux de vous savoir entouré de personnalités qui ont chacune leur réflexion propre, sûr qu’elles partageront mon jugement et l’affectueux souvenir que je garde toujours de Raymond Barre.
Valéry Giscard d’Estaing. »
La remarque générale que je me permettrai ensuite de formuler est celle-ci : Il existe trois sortes d’hommes politiques : Ceux qu’inspire une vision historique, ceux qui ont exclusivement des visées électorales, ceux qui combinent les deux caractères que je viens d’indiquer.
Je me tiendrai hors des problèmes électoraux et je pense que Raymond Barre avait une vision historique. Comment définit-on une vision historique ? Par la clarté des objectifs que l’on définit, par la lucidité sur la situation du pays, par le discernement des perspectives, c’est-à-dire la connaissance des événements éloignés et probables et enfin par la détermination sur les choix de la France et les voies à parcourir. Je crois que Raymond Barre avait ces qualités et qu’elles étaient formées dans les trois étapes de son éducation politique. Directeur de cabinet de Jean-Marcel Jeanneney de 1959 à 1962, il découvre le fonctionnement du gouvernement à un moment décisif Après la très grande réforme économique et monétaire de 1958. Le Général de Gaulle avait imposé une politique économique que contestaient tous les directeurs de cabinet des ministères des Finances et qui venait directement du comité qu’avait présidé Jacques Rueff et dont faisait partie Jean-Marcel Jeanneney. Cette rupture avec la situation précédente, c’est à dire avec le laxisme monétaire et l’absence de rigueur budgétaire, avec le choix déterminé d’ouverture, a joué un rôle considérable. C’est elle qui a permis définitivement l’entrée de la France dans le marché commun. Sans les réformes de 1958, la France n’aurait pas pu entrer dans l’Europe et serait dans la situation que promettait l’inflation qu’elle avait connue et les discordances qu’elle connaissait.
La deuxième étape de sa formation vient à Bruxelles. Elle élargit alors sa vision puisqu’il compare alors la situation économique française et la situation économique allemande et voit que la compétitivité est le facteur décisif. Il voit aussi que dans un monde monétairement compliqué, l’Europe a besoin de stabilité monétaire et qu’il lui faut d’ores et déjà s’engager dans l’union monétaire.
Enfin au gouvernement, à partir de 1976 et jusqu’à 1981, il considère que le rétablissement de la stabilité de la rigueur budgétaire est nécessaire, mais surtout que la compétitivité est la clef de la situation économique de la France. La compétitivité c’est tout simplement qu’il faut produire des produits que les gens puissent acheter et que pour produire des produits que les gens puissent acheter, il faut que les entreprises soient compétitives dans le monde ouvert. Ce qui détermine la vision historique de Raymond Barre, c’est qu’il sait que l’économie française est désormais dans un système parfaitement ouvert. Il sait que la compétitivité détermine la croissance et que c’est la croissance qui rend possibles les politiques sociales. Autrement dit, toute sa vision critique les illusions, c’est-à-dire ceux qui croient que la croissance peut être le fruit de l’inflation et de la dévaluation ou de la dépense inutile. Pour ces raisons, il a rencontré beaucoup d’incompréhensions et de grandes difficultés. Je pense que les orateurs pourront le déterminer ou le critiquer, mais je pense que dans sa vision juste de ce qu’était la France dans une économie ouverte et de ce qu’était l’Europe dans une économie mondialisée, il conduisait sa politique et que par là même, il avait une vision historique qui progressivement devrait s’imposer. La question que pose Raymond Barre est donc de savoir si c’est l’illusion ou le réalisme qui doivent prévaloir.